La fin cosmique des dinosaures
N'importe quel enfant sait désormais grâce à Jurassic Park que les dinosaures sont apparus il y a plus de deux cents millions d'années et qu'ils ont mystérieusement disparu il y a environ soixante-cinq millions d'années.
À la conception d'une évolution graduelle et lente, de l'inanimé à l'humanité, s'est substituée, surtout dans les dernières décennies, une action pleine de bruits et de fureurs, scandée par de brutales ruptures. Les géologues et paléontologues qui avaient eu bien du mal à échapper aux cataclysmes bibliques ont eu quelque peine à s'y faire bien qu'ils en aient été les découvreurs.
Sur la fin des années 1970, un géologue, Walter Alvarez, découvrit près de Gubbio, en Italie, une mince couche d'argile déposée à la fin du Crétacé, au moment où les dinosaures avaient massivement disparu de la surface de la Terre. Des traces d'iridium, retrouvées par la suite un peu partout dans la même couche sur toute notre planète, conduisirent à faire l'hypothèse de la chute d'un astéroïde. Soulevant d'immenses nuages de poussière et provoquant peut-être des écoulements dévastateurs de lave, cette collision aurait obscurci le ciel, abaissé la température, suscité un long hiver planétaire, ruiné la végétation et condamné à mort environ 65 % des espèces vivant à l'époque, dont les dinosaures. Certains géologues pensent même avoir retrouvé la trace du coupable sous la forme d'un vaste cratère météoritique dans le sud du golfe du Mexique. Les cataclysmes avaient fait un retour fracassant dans l'histoire de la vie sur notre planète.
Mais les archives paléontologiques n'ont pas conservé la trace d'une seule extinction massive d'espèces, mais de plusieurs, au moins une dizaine, dont certaines furent plus radicales encore que celle survenue à la fin du Crétacé. Il y a environ 248 millions d'années, une extinction massive aurait fait disparaître 95 % des espèces existantes. Cette catastrophe aurait du reste laissé le champ libre au développement des dinosaures, tout comme celle du Crétacé a permis aux mammifères de remplacer les dinosaures.
David Raup, un paléontologue américain, entreprit alors de collectionner ces accidents cosmiques et de démontrer qu'ils présentaient une certaine régularité dans le temps, intervenant environ tous les trente millions d'années. Cette régularité, qui demeure hypothétique, pouvait signifier qu'une cause semblable était à l'origine de chacun de ces cataclysmes et que notre planète était régulièrement bombardée par des astéroïdes.
Régularité des extinctions de masse
Hypothèse 1 : Notre Soleil formerait une étoile double avec une compagne placée sur une orbite fortement elliptique. Tous les quelque vingt-six millions d'années, cette redoutable sœur, baptisée Némésis, viendrait déranger les comètes et autres planétésimaux du Nuage d'Oort, situé à environ un quart à une demi-année-lumière de notre Terre et reste abondant de la formation du système solaire. Il précipiterait ainsi des objets de bonne taille vers l'intérieur du système, en nombre assez grand pour que quelques-uns finissent par percuter notre planète. Tout le problème vient de ce que ce compagnon n'a pas encore été détecté et que l'accroissement rapide et considérable des moyens d'observation astronomiques rend son existence occulte de plus en plus problématique.
Hypothèse 2 : La traversée du plan galactique, particulièrement riche en poussières et objets divers, par notre système solaire et son cortège de comètes et d'astéroïdes provoquerait la même pluie meurtrière. La périodicité du cataclysme serait alors de l'ordre de trente-trois millions d'années, ce qui ne cadre pas très bien avec la périodicité aujourd'hui inférée des extinctions de masse qui serait plutôt de l'ordre de vingt-six millions d'années.
Les deux hypothèses qui font intervenir des comètes chassées de leurs orbites initiales, ont en commun un grand avantage logique sur celle de la collision avec un astéroïde isolé. Celle-ci n'aurait en effet de chance d'intervenir que toutes les quelque centaines de millions d'années. Et surtout, de telles collisions n'auraient aucune raison de se reproduire assez régulièrement : elles devraient être strictement gouvernées par les lois du hasard. Elles présentent un autre intérêt pour les scientifiques. Les paléontologues répugnent en effet à admettre un événement unique et brutal qui aurait exercé tous ses effets en quelques mois ou quelques années, à l'origine de la disparition des dinosaures. La répartition des fossiles laisse à penser que cette disparition aurait pu s'étaler sur un laps de temps assez long, allant de quelques dizaines de milliers d'années à peut-être un million d'années, d'où les théories de la dégénérescence ou encore des changements climatiques graduels. La mince discontinuité découverte par les Alvarez, père et fils, pourrait signer un événement particulièrement violent inséré dans une série plus longue de collisions. On peut imaginer que la Terre ait été soumise régulièrement à des pluies de comètes s'étalant sur des dizaines de milliers d'années et ayant progressivement raison des espèces les plus coriaces, tout en laissant subsister d'autres espèces suffisamment adaptables et opportunistes pour survivre malgré tout.
La future extinction de l'humanité
Mais si des extinctions massives d'espèces ont bien eu lieu régulièrement dans le passé, et si, en particulier, elles ont bien pour cause des phénomènes astronomiques, mouvements d'une étoile proche ou traversée du plan galactique, elles se reproduiront nécessairement dans l'avenir.
Après la disparition des dinosaures, les deux dernières extinctions massives ont eu lieu il y a respectivement 38 et 11,3 millions d'années. Si l'on s'en tient à l'hypothèse Némésis, celle d'un cycle de vingt-six millions d'années, la prochaine devrait survenir dans quinze millions d'années. Si l'on penche pour celle du plan galactique, nous bénéficions d'un répit de près de vingt-cinq millions d'années.
Nous, c'est-à-dire l'humanité. Mais existera-t-elle encore sous une forme reconnaissable dans un avenir si éloigné ? Devra-t-elle alors passer la main après un règne bien plus bref que celui des dinosaures ?
Dans quinze à vingt-cinq millions d'années, il y aura du grabuge dans le ciel. Le ciel tombera littéralement sur les têtes. Et puis la vie reprendra.